La base de mon travail est la matière vivante, chair humaine, animale ou végétale car je cherche à accéder au vivant dans ce qu’il a d’essentiel. La matière vivante est animée, parcourue d’histoires et de mémoires. Elle est vibrante, faite de strates infinies, en perpétuel mouvement.
Chacune de ses strates est un monde qui m’apparaît au fur et à mesure que je peins et que j’aime à explorer. Pour aller au plus profond de cette matière, il me faut l’interroger dans toute sa crudité. Au-delà de l’apparence, elle est si crue et brutale qu’elle ne saurait mentir.
Dans la composition de mes tableaux, je cherche à exprimer des sensations, à dépasser la ressemblance stricte.
La peinture à l’huile enrichit cette quête. La lenteur du séchage agit comme un révélateur, quelque chose se dévoile. J’attache une grande importance à la dimension artisanale de mon métier. Monter un châssis, tendre la toile, broyer les pigments, cette approche manuelle, indispensable, est mon premier contact avec le sujet.

« L’intensité de la chair » de Maxime Broch, 2017

De ses origines argentines et de ses voyages en Inde, Sonia Lagier retient les couleurs. L’intensité chromatique de ses compositions est peu à peu devenue indispensable à leur réalisation. Chaque toile se lit à travers les nuances de coloris, dans ce qu’elles ont de plus noble et de plus terrible. Le rouge est omniprésent dans son travail, associé au moindre corps, au moindre objet. Il ne s’agit pas d’un vermillon violent et brut, mais d’un grenat puissant venu dévoiler la sensualité de la chair, parfois sanglante. Appliquée sur la toile, l’épaisse matière colorée rehausse les formes, illumine la toile et agit comme révélateur d’une peinture incarnée, liée aux pulsions humaines les plus sauvages.

Sonia Lagier admire les maîtres classiques et emprunte à la peinture moderne. Sa série Carne ravive l’extrême contemporanéité des carcasses bovines sublimées par le dessin de Rembrandt et la palette de Chaïm Soutine. Lors d’un voyage en Argentine, l’artiste photographie l’activité quotidienne des abattoirs du pays. De retour à Paris et débarrassée du filtre de l’objectif, elle exhibe une chair à vif, peinte dans l’intensité du moment. N’est-ce pas là un écorché de ses propres désirs, de ses envies et de ses peurs dans toute leur corporalité ? Pour Lagorda, elle pose sur la toile des corps de femmes dénudées dont les lignes corporelles oscillent entre un dessin rigoureux et une sensualité proche de l’expression d’un corps dansant. Dans ses travaux en série, la première toile est toujours la plus figurative. Le modèle est capté dans le moment, dans ce que l’instant a de plus vivant. Peu à peu, le trait s’efface et glisse vers l’abstraction la plus complète. Le pinceau déconstruit le réel et incite l’esprit à dépasser l’apparence figurative pour se concentrer sur les formes intensément colorées et défragmentées. Confronté à l’intensité des couleurs, le spectateur s’interroge simultanément sur son existence, ses pulsions, la sensualité de sa propre chair. Ses préoccupations, à la fois narcissiques et conjuratoires aboutissent à une seule et même question : d’où me vient ce désir ardent ?

Catalogue d’exposition, texte de Sandrine Pugliesi, Galerie de l’Europe, 2010

Sonia a grandi entre la France et l’Argentine.
Pour autant, elle ne quitte pas ce pays d’origine, ni la peinture, ni les pinceaux.
C’est à travers ses toiles que nous revient l’intention du cadrage.
Le hors-norme imprime-t-il davantage la mémoire ?
Comment l’œil se laisse-t-il impressionner par le gros et le gras ?
L’épaisseur de la chair des « Gordas » révèle-t-elle l’importance qu’elle représente à notre esprit ?
Existe-t-il un rapport entre la place que l’on occupe physiquement et ce qui nous occupe mentalement ?
Quoi qu’il en soit et pour rappel, l’Argentine représente quelque 2 780 000 km²… cinq fois la France!